mercredi 6 août 2014
samedi 2 août 2014
Encre, graphite, papier. Ligne,
tracé, trait, contour. Le fusain circule, textures sinueuses creusées dans le
blanc du papier, fond en nuage, comme si baigné dans une solution aqueuse et rebondit
un peu plus loin en constellation. Dessins chargés, où toutes les formes sont
possibles, où les vides se justifient des pleins et où chaque dessin détient,
en prise de risque assumée, sa vérité temporaire. Ainsi oscillent, dans un extraordinaire
sens du mouvement, entre le très contrôlé et le très sensible, cartographies
teintés d’incertitude, des territoires presque invisibles de la botanique et
d’autres plus lointains de la Cosmologie.
J’ai fait la connaissance
de Isabel Correia sur une piste de danse un soir d’été. Lieu improbable, un
restaurant que l’on imagine volontiers ouvert à des heures irrégulières et
seulement le soir, avec un je-ne-sais-quoi commun à ces restaurants américains en
bord de route, comme ceux qu’on voit dans les films ou en photo, à défaut de les
voir en vrai. Apparemment uniforme, toit incliné, façades vitrées, isolé, comme
s’il avait échoué sur la marge du fleuve et d’où sortait une sorte de cri
lancinant de musique techno qui peinait à couvrir le vrombissement monotone des
voitures roulant à grande vitesse sur le pont. Isabel y dansait, sautant et
gesticulant énergiquement dans tous les sens, ici même, dans ce lieu au bord de
l’eau où dehors, emportés par la rapidité du Tage, les navires laissaient
derrière eux un trait noir charbon, creusé dans le reflet argent de la pleine
lune dans l’eau.
Au milieu de ce vacarme
et d’un dialogue animé je lui fais part de mes conversations ayant comme thème
le silence. Dessiner des lignes, des traits ou des tâches, imprime notre façon
d’être au monde. On peut griffonner du bruit ou tracer des silences. Très vite Isabel
déroule sa pensée comme si elle déroulait ses dessins J’ai tout d’abord songé à
la fatigue qui rend attentif, qui confère une attention particulière ou qui
peut réorienter le regard. Pas du tout. Pour le dessin, sa conviction, c’est
l’abandon pour laisser advenir. Sans silence pas de dessin. Conviction qui
l’anime et dicte son destin. Mon corps est le dessin, le monde est notre
dessin. Il faut donc avoir le courage de quitter le temporel, que les brumes matinales
se dissipent pour rétablir une vision claire. L’esprit passe, défile, illumine,
vagabonde sans jamais se fixer. L’impermanence, nature propre du vivant et le
principe d’incertitude, sujets de recherche dans l’œuvre de Isabel Correia, orientent
la méthodologie de sa pratique. S’engager dans la certitude, s’est échouer
lamentablement, dit-elle. Mais pour « être sans le vouloir » que la
pratique du dessin authentique demande, il importe que l’activité intérieure
soit au repos, il faut un chemin de paix intérieur, un silence qui ne perturbe
pas ce « laisser aller comme la vie va ». Un « sans-vouloir »
naturel, libéré de la pensée rayonnante, des automatismes de perfection, de la
préoccupation des apparences. Abattre les frontières entre le soi et le vivant
de toutes choses. Il s’agit bien de tout oublier jusqu’à l’abandon du moi pour
un temps. Alors, un échange incessant s’engage, extérieur – intérieur, un cycle
naturel de revitalisation. Cette conscience est silence actif.
Isabel Correia, qui puise
ses connaissances dans la pratique du bouddhisme et de la méditation ne me
contrariera pas, si je lui rappelle quelques paroles d’un maître cordonnier
d’un petit village en Allemagne du XVII siècle, Jakob Böhme, qui dit –
« Lorsque tu te tiens dans le repos du penser et du vouloir de ton
existence propre, alors l’ouïe, la vue, et la parole éternelles se manifestent
en toi… »
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