samedi 2 août 2014




Encre, graphite, papier. Ligne, tracé, trait, contour. Le fusain circule, textures sinueuses creusées dans le blanc du papier, fond en nuage, comme si baigné dans une solution aqueuse et rebondit un peu plus loin en constellation. Dessins chargés, où toutes les formes sont possibles, où les vides se justifient des pleins et où chaque dessin détient, en prise de risque assumée, sa vérité temporaire. Ainsi oscillent, dans un extraordinaire sens du mouvement, entre le très contrôlé et le très sensible, cartographies teintés d’incertitude, des territoires presque invisibles de la botanique et d’autres plus lointains de la Cosmologie.
J’ai fait la connaissance de Isabel Correia sur une piste de danse un soir d’été. Lieu improbable, un restaurant que l’on imagine volontiers ouvert à des heures irrégulières et seulement le soir, avec un je-ne-sais-quoi commun à ces restaurants américains en bord de route, comme ceux qu’on voit dans les films ou en photo, à défaut de les voir en vrai. Apparemment uniforme, toit incliné, façades vitrées, isolé, comme s’il avait échoué sur la marge du fleuve et d’où sortait une sorte de cri lancinant de musique techno qui peinait à couvrir le vrombissement monotone des voitures roulant à grande vitesse sur le pont. Isabel y dansait, sautant et gesticulant énergiquement dans tous les sens, ici même, dans ce lieu au bord de l’eau où dehors, emportés par la rapidité du Tage, les navires laissaient derrière eux un trait noir charbon, creusé dans le reflet argent de la pleine lune dans l’eau.
Au milieu de ce vacarme et d’un dialogue animé je lui fais part de mes conversations ayant comme thème le silence. Dessiner des lignes, des traits ou des tâches, imprime notre façon d’être au monde. On peut griffonner du bruit ou tracer des silences. Très vite Isabel déroule sa pensée comme si elle déroulait ses dessins J’ai tout d’abord songé à la fatigue qui rend attentif, qui confère une attention particulière ou qui peut réorienter le regard. Pas du tout. Pour le dessin, sa conviction, c’est l’abandon pour laisser advenir. Sans silence pas de dessin. Conviction qui l’anime et dicte son destin. Mon corps est le dessin, le monde est notre dessin. Il faut donc avoir le courage de quitter le temporel, que les brumes matinales se dissipent pour rétablir une vision claire. L’esprit passe, défile, illumine, vagabonde sans jamais se fixer. L’impermanence, nature propre du vivant et le principe d’incertitude, sujets de recherche dans l’œuvre de Isabel Correia, orientent la méthodologie de sa pratique. S’engager dans la certitude, s’est échouer lamentablement, dit-elle. Mais pour « être sans le vouloir » que la pratique du dessin authentique demande, il importe que l’activité intérieure soit au repos, il faut un chemin de paix intérieur, un silence qui ne perturbe pas ce « laisser aller comme la vie va ». Un « sans-vouloir » naturel, libéré de la pensée rayonnante, des automatismes de perfection, de la préoccupation des apparences. Abattre les frontières entre le soi et le vivant de toutes choses. Il s’agit bien de tout oublier jusqu’à l’abandon du moi pour un temps. Alors, un échange incessant s’engage, extérieur – intérieur, un cycle naturel de revitalisation. Cette conscience est silence actif.
Isabel Correia, qui puise ses connaissances dans la pratique du bouddhisme et de la méditation ne me contrariera pas, si je lui rappelle quelques paroles d’un maître cordonnier d’un petit village en Allemagne du XVII siècle, Jakob Böhme, qui dit – « Lorsque tu te tiens dans le repos du penser et du vouloir de ton existence propre, alors l’ouïe, la vue, et la parole éternelles se manifestent en toi… »






samedi 22 mars 2014

BOUTONS - la mode et les boutons, les bracelets

La mode et les boutons

du 11 décembre 2014 au 13 avril 2015

L’exposition explore pour la première fois le rôle du bouton dans le vêtement dépassant souvent sa fonction utilitaire pour une fonction esthétique que chaque créateur invente avec subtilité. Ce projet est initié par l’acquisition d’une collection exceptionnelle de 3700 boutons datés du XVIIIe au XXe siècle pour la plupart, déclarée œuvre d’intérêt patrimonial majeur.Ce fonds, constitué par Loïc Allio, est sans doute aujourd’hui la collection de référence en France. Elle offre une vision complète de l’évolution de l’industrie du bouton et rassemble des pièces choisies une à une pour la qualité de leur exécution et de leur provenance. Anonymes ou boutons d’auteur, leur décor permet de retracer l’histoire et l’évolution des styles propres à chaque époque.
La série la plus importante de la collection est celle du sculpteur Henri Hamm (1871-1961), composée de 792 pièces. Des paruriers, comme Jean Clément (1928-1941) ou François Hugo (1941-1952) ainsi que des artistes comme Jean Arp et Alberto Giacometti, ont collaboré avec la célèbre créatrice de mode Elsa Schiaparelli. De la même façon, Maurice de Vlaminck a créé des boutons pour le couturier Paul Poiret. Citons encore les boutons de Francis Winter et Roger Jean-Pierre qui ont travaillé pour les plus grands noms de la Haute Couture tels Dior, Balenciaga, Mme Grès, Givenchy, Balmain et Yves Saint Laurent. Les femmes sont également représentées avec Sonia Delaunay et Line Vautrin.

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 Maria de Morais Bracelets Boutons

lundi 13 janvier 2014

Napoli, l'underground


5. 
Et pendant que Naples se fissure, la terre engloutit, la vie continue. En haut comme en bas. Oui, tout ce dont nous voyons repose sur un vide aux dimensions  équivalentes,  parfois formes identiques, comme l’église des âmes du Purgatoire.  Sous terre, il y a des couloirs immenses, qui permettent à la Camorra de s’enfuir, des catacombes où l’on organise des expositions d’art contemporain, des cimetières où l’on caresse les crânes des morts, et des grottes, immenses grottes, où l’on travaille ou où l’on vit. Où l’on vit intensément, comme partout à Naples. La ville grouille de projets, les uns les plus audacieux que les autres et des gens qui les animent. Oui c’est l’époque de Noel, des dons et les Napolitains, habitués qu’ils sont à vivre avec la Culture, soutiennent tous ces projets.  Il y a ce citoyen qui, las de voir les monuments de son quartier s’effriter, part faire du porte à porte, afin de réunir la somme nécessaire à leur restauration. Il y a des artistes qui mettent une de leurs œuvres aux enchères afin que le musée Filangieri, qui abrite une belle collection privée, ouvre à nouveau ses portes. Il y a le crowdfunding, lancé par l’architecte Antonio Giuseppi Martiniello qui a investi dans un Cloitre abandonné, le Cloître Santa Caterina, exemple d’architecture Renaissance, dans un quartier d’une valeur culturelle immense mais aussi d’une valeur humaine unique : le quartier à côté de la Porta Capuana  Il  vient de l’emporter, haut la main, chapeau, et a réuni la somme nécessaire à la réalisation d’un toit en verre, pour ce lieu qui accueillera des activités culturelles, artisanales et artistiques. Jimmie Duhram, qui, depuis son début soutient le projet -Made  in Cloister - y a déjà installé son atelier. Et puis, il ya la vente aux enchères la plus inattendue : la mise en vente au Palais de Justice des objets récupérés à la Camorra, la liste est longue - peintures, sculptures, objets religieux,  machines à écrire, violons, affiches - et qui n’ont pas été réclamés ou retrouvé leur propriétaire.

Et partout Naples. Entre un café, un capuccino, Naples. Toujours. Égoïstement je le dis fort heureusement une ville délaissée par le tourisme de masse où, comme à Lisbonne, dès qu’il se met à pleuvoir, les vendeurs de parapluie apparaissent comme par enchantement.
À peine arrivée, dans ce Palais du XVI, endommagé par le bombardement des alliés et le tremblement de terre le plus récent et qu’en dix ans je n’ai connu qu’avec des échafaudages,  au salon où, on se plait à imaginer un bal dont la musique et le froissement des robes longues s’entremêlent, forcément une ambiance très viscontinienne, on me parle de Misia. La chanteuse, le Fado, son destin. Misia, l’envoutante, la séductrice. Sa voix, sa sensualité, sa musicalité, la seule vraie Napolitaine du film de John Turturro, les éloges ne manquent pas lorsqu’on me parle d’elle.
Là où je ne m’attendais pas, Lisbonne me rattrape. Et son destin avec. 

samedi 14 décembre 2013

Napoli, le Purgatorio


4.
Entre la Solfatara qui veille et le Vésuve endormi, Naples.

Via dei Tribunali. Palazzo Spinelli, Sur la terrasse de l’Albergo del Purgatorio. Le spectre noir si proche. « A Muntagna », appelé ainsi par les Napolitains, dessine un M dans le ciel.  M d’aimer ou M de mourir.  Quelque part dans la nuit, des détonations déchirent l’air et une féerie de couleur e lumière explose et se hisse au dessus des forêts d’antennes de télévision, enchevêtrées sur les toits des immeubles en pierre de lave. Un anniversaire, une sortie de prison, l'arrivée de la drogue…

Naples, la soif de vivre ! Naples nous happe, prend possession de nous et très vite on se retrouve pris dans ses filets. Chaque instant, un moment d’éternité. Décembre. La ville grouille de monde. Une foule heureuse qui avance compacte et lente, lentement. C’est la grande fête. Les rues, les venelles, scintillent, animées de guirlandes, fleurs en papier, statues en stuc et les santons. Une odeur de fleur d’oranger et de marrons chauds embaume l’air. Jamais Naples n’est autant pérégrination. Naples, que la politique du Nord a voulu faire rayer de la carte, avec un plan délibéré de mettre la ville à l’écart des touristes, résiste. Naples que la Camorra, reine du crime, essaie de contrôler par tous les moyens, afin que les importations du marché noir puissent circuler librement, se rebelle. Dévastée, avec le consentement de l’Europe, l’économie dite légale, reprend petit à petit. On y vient de part et d’autre du monde. Je n’arrive pas à me convaincre de la réalité palpable et immédiate de ma présence en ces rues, étroites comme des failles dans la pierre. Depuis les fenêtres, entre couleur et linge qui sèche, chacun entretient un dialogue avec ceux en bas, dans la rue. Ici on ne chuchote pas. Le spectacle est omniprésent et le décor magnifique. Mon regard va de gauche à droite. On est dans le pays du bel canto et dans la rue et au quotidien, les plus grands acteurs du monde. Ici on joue la vie. Chaque jour. Mais aussi, la douleur et la joie. La joie de la naissance, en somme, la joie d’être en vie. Pulcinella. Et dans les cours, aux pavés disjoints, les presepi. Des milliers de petites lucioles de toutes les couleurs brillent entre les santons. C’est religion. Le 25, le peuple le plus païen de la terre, fête, avec ferveur, l’enfant-dieu. Chaque année, un sapin de Noël est placé au milieu de la très belle Galleria Umberto I.  On y vient accrocher sa  « lettre au père Noel ».  Chaque année, le sapin est volé !
Et partout dans la ville, sur les dalles en pierre volcanique, qui nous font tordre les chevilles, on installe des baraques en bois : on y vendra du feu d’artifice. Il n’y pas une nuit sans, d’ailleurs. La nuit du 31,  on dit que  « le monde devient fou ».  La coutume veut qu’on jette tout ce dont on ne veut plus, par la fenêtre

Naples, tout un voyage, un voyage au ventre de la Terre.

vendredi 22 novembre 2013

L'imprévisibilité, le charme de Napoli


3.
La terre peut trembler et le Vésuve vomir des torrents de lave enflammée. Augusto Antonio Viola le sait. Architecte, designer, professeur à La Sorbonne, il partage sa vie entre Paris et Torre Annunziata, où il est né. Ici, il peaufine son dernier projet : créer des résidences d’artistes sur un flanc du Vésuve. Créer au dessous du volcan ? Pourquoi pas ? Ses flancs sont littéralement grignotés par l’urbanisation galopante de la région. Le tissu urbain y est si dense que les communes qui se sont développées alentours semblent ne former qu’une immense ville grouillante encerclant le volcan. Les voies d’évacuation sont devenues périmées, bloquées par des constructions illégales. Quelques riverains se sont récemment plaints au Tribunal Européen des Droits de l’Homme. Ils lui demandent protection. Pas évident de vivre sur un volcan !

Et pourtant, Mitzi di Salvo, n’a jamais vécu ailleurs que sur le cratère dont sa famille est propriétaire et depuis plus de cent ans, La Solfatara. Sa belle maison rouge Pompéi, est sur un sol qui bouge, qui monte et descend en mouvements bradysismiques. Elle se veut rassurante, et me dit qu’aucun volcan au monde n’est autant surveillé, des satellites mesurent quotidiennement son comportement.  Le cratère est un énorme désert blanc et plat. Entouré de fumerolles et de bulles de boue en ébullition. Rien à voir avec l’image classique d’un volcan. L’odeur est âcre, du soufre. Partout on la respire, elle devient presque agréable. Thérapeutique. La Solfatara, implacable dans son souffle, chaud et humide. Un endroit magique. Mystérieux et inquiétant à la fois " la région la plus merveilleuse du monde sous le ciel le plus pur et le sol plus traître " écrivait Goethe dans Voyages en Italie. Sous nos pieds, du magma bouillonnant. Ici, la terre se soulève de quelques centimètres par mois. Bienvenue dans l’antichambre de l’Enfer.
 
C’est à dire, si le réveil du Vésuve est une certitude aux yeux des scientifiques dont l’éruption attendue devrait dégager une énergie colossale, détruisant tout sur son passage en quelques secondes, La Solfatara,  le « petit volcan «  acheté par l’arrière grand père de Mizi Di Salvo, que, semble-t-il, a un regain d’activité depuis peu, n’est que la pointe de l’iceberg. Elle cache un super-volcan de plus d’une centaine de kilomètres carrés. 
Toute fuite est impossible, sinon dans la mort.


Tel est le charme de Naples. Elle offre l'excitation d'imprévisibilité.

Alors, les vulcanologues veillent et les Napolitains s’en remettent à leur protecteur : San Gennaro, le grand saint de Naples ! Martyr décapité sur la soufrière au IVe siècle. Chaque année, au mois de Mai, sa statue est portée en procession autour du cratère. N’a-t-il pas déjà sauvé Naples plusieurs fois ?
La Solfatara? Un grand autel païen.

lundi 18 novembre 2013

Napoli - Albergo del Purgatorio N°2



2.
La carte venait de Lisbonne. «Lisbonne, fille d’Ulysse, sous tes rues ensoleillées en marqueterie noire et blanche, il existe une Pompéi qui ne sera jamais ressuscitée » pensais-je.
Longtemps, j’ai rêvé d’habiter Lisbonne. Longtemps, le courage m’a failli. Je listais ce dont je pourrais venir à manquer, et invariablement, je justifiais ma lâcheté par un « et puis, à nouveau, la terre tremblera ». Inondée de lumière, elle l’a été aussi par l’eau, et quoi qu’il en soit, Lisbonne me posait le problème de la mortalité. Et Naples si présente. Si réelle. Dans son ventre violent, qui nous happe et nous fait mourir d’amour, une bombe à retardement.


Oui, je suis au pied du Vésuve et ainsi pourrait continuer un autre chapitre d’une correspondance sans fin avec Robert Kaplan, une rencontre qui n’a jamais eu lieu. Regards croisés voilà plusieurs années déjà avec un personnage fictif, dans un lieu vrai. L’Albergo del Purgatorio.



Via dei Tribunali. Le Purgatoire n°2. Pour entrer dans la joie du ciel.

Le Purgatoire est tout, sauf neutre. Si on se tient à la définition, un passage obligé, une loi très commune avant l’éternité. Si proche d’une ancienne porte des Enfers, le lac d’Averne, le Purgatoire, au Palazzo Spinelli di Laurino, est l’invitation. Un de plus beaux palais de la ville, à la cour ronde et à l’escalier monumental orné de statues de princesses Caracciolo. Habité, bien évidemment, mais par une douce anarchie, où rien n’est laissé au hasard. Plafonds hauts de 8 mètres, couleur sur les murs tapissés d’œuvres  d'art  que l'on peut acheter, signées John Giorno, Jacques Villeglé, Bernard Heidsieck, Françoise Janicot, Paolo Stampa, Giuseppi Zevola, Paul Armand Gette et j’en passe, et au sol, de magnifiques tapis Afghans.  
Le Purgatoire, un endroit pour un séjour, plus ou moins bref, pour tous ceux qui seraient attirés par l’imaginaire de cette ville, me dit Nathalie Heidsieck de Saint Phalle, la créatrice des lieux,  pour ceux qui aiment autant la nuit que le jour et les livres, car tous ceux qu’y passent laissent un livre, même un vieux poche, en y ayant inscrit son nom et la date.

Soit que l'on en ait entendu parler par quelqu'un y étant passé, soit par un article, le plus souvent très loin de la réalité, impossible d’y résider sans avoir adhéré à l’association Locus Solus, baptisée ainsi en hommage à l'écrivain Raymond Roussel, précurseur des surréalistes. Association culturelle à but non lucratif n’ayant qu’un seul but, celui d’aider ceux qui en ont besoin.


Lieu invraisemblable, hors normes, on adore ou on déteste. Je viens ici depuis dix ans !